Sur quelques absurdités quotidiennes dans les sciences sociales (13)

Le savant et la politique

Alors qu’il promulguait l’engagement, Sartre a soigneusement séparé ses positions politiques de ses travaux « scientifiques ». Il interrompait la rédaction de son Flaubert pour présider le « tribunal Russel » sur les crimes américains au Vietnam sans que chaque tâche apparaisse dans l’autre.

Evidemment, le choix de ses sujets n’était pas neutre. Enquêter sur Flaubert consiste à réfléchir sur les raisons pour lesquelles un grand écrivain pouvait approuver les massacres de la « semaine sanglante ». De même, en pleine occupation, L’Etre et le Néant pouvait évoquer L’Espoir de Malraux et les communistes – page 485 – mais il ne s’agit que de clin d’oeil ne serait-ce que pour narguer la censure. Les choix politiques signalés n’influent en rien la démonstration.

Tous les intellectuels ne respectent pas une telle séparation et mélangent les positions scientifiques avec les prises de parti politiques. Je ne peux que reprendre les lumineux propos de Roger Chartier : « Je crois que les historiens peuvent prendre des partis politiques plus immédiats, plus directs, plus clairs, plus évidents, mais je ne pense pas que ce soit nécessairement à partir de leur compétence scientifique et technique qu’ils doivent les justifier. » (Chartier, 2000 : 266)

En effet, toute décision politique s’appuie sur une analyse de la réalité qui peut être sérieuse, mais aussi sur des convictions légitimes mais arbitraires et sur des paris sur une évolution future. Le « savant » ne pourra jamais proposer sérieusement que le premier terme du processus.

Bernard Traimond

 

 

CHARTIER, Roger, Le jeu de la règle. Lecture, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, Etudes culturelles, 2000.

 

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