« As if » management. Regard sur le mal-être au travail. Editions Le Bord de l’eau, septembre 2012. Entretien avec Michel Feynie.

D’abord, pourquoi ce titre, en anglais de surcroît ?

J’ai choisi ce titre tout d’abord pour me moquer du discours managérial qui use et abuse des termes anglo-américains comme brief, reporting…. La deuxième raison est que le terme de « As If » management permet de qualifier au plus juste le management actuel des grosses entreprises qui fait souvent comme si tout allait bien et ignore les problèmes.

Dans « les maux du management », tu avais interviewé des cadres d’une entreprise publique. As-tu pour ce nouveau livre rencontré des salariés ayant un autre statut ?

Concernant l’analyse du discours managérial, mon étude porte sur une quinzaine d’entreprises de tous statuts. La plupart du temps, j’ai réussi à me procurer la documentation grâce à mes étudiants qui étaient en stage dans ces entreprises. Pour ce qui est des entretiens, je les ai menés uniquement à LP, entreprise publique car j’ai pu trouver des informateurs privilégiés qui avaient confiance en moi et ne m’ont pas tenu un discours convenu.

Dans la présentation, il est annoncé que les salariés peuvent y trouver des clefs de lecture permettant de les aider à se protéger de ce management déshumanisé. Cela m’amène à te poser deux questions : Est-ce un livre que l’on pourrait qualifier de militant ? Propose-t-il aussi des moyens d’action ?

Comme on reproche souvent aux sciences sociales de faire des constats et pas de propositions, j’ai souhaité en faire même si je sais qu’elles n’ont aucune chance d’aboutir car elles remettraient en cause trop de choses auxquelles les dirigeants ne souhaitent pas toucher. En conséquence, je donne des clefs de lecture aux salariés pour qu’ils puissent se protéger de ce management. A mon niveau, je ne peux hélas agir qu’au plan individuel même si ce n’est pas le plus efficace. Je ne dirais pas que mon livre est militant mais qu’il est engagé. Je revendique cet engagement mais le travail final me semble validé par un profond travail de terrain et une enquête approfondie.

Tu as choisi de « compléter » ton enquête par une étude de documents écrits émanant d’une quinzaine d’autres entreprises. Cela signifie-t-il que la rhétorique managériale que tu évoques est la même dans toutes les grandes entreprises ? Peux-tu aussi expliquer quelle a été ta méthodologie ?

Comme je l’ai précisé plus tôt, j’ai pu grâce à mes étudiants, obtenir de la documentation institutionnelle d’une quinzaine d’entreprises : privées, publiques et d’une administration. J’ai analysé les mots récurrents : substantifs, adverbes, verbes, adjectifs ainsi que les figures rhétoriques… Cette étude m’a permis de montrer que le discours institutionnel reprenait les mêmes formes, c’est souvent un discours bien écrit mais plutôt langue de bois, c’est-à-dire relativement creux. Cette ressemblance vient souvent du fait que ces documents sont écrits par des agences de presse qui travaillent pour tout type d’entreprise et reproduisent le même discours. Les consultants qui depuis 20 ans sont aussi très présents dans les entreprises véhiculent également ce type de discours.

Peu d’anthropologues travaillent sur (et dans) l’entreprise. Pourrais-tu préciser pourquoi et quels sont justement les apports de l’anthropologie de l’entreprise selon toi ?

La difficulté de travailler sur l’entreprise pour un anthropologue est de pouvoir y rentrer. L’anthropologie fait peur aux chefs d’entreprise qui ne souhaitent pas que l’on montre les coulisses de leur entreprise mais préfèrent montrer la scène et une image idéale à travers le discours institutionnel. Pour enquêter, l’anthropologue doit le faire clandestinement ou en faisant de l’ethnologie indigène c’est-à-dire en étudiant l’entreprise dans lequel il est salarié.

Quant aux apports de l’anthropologie d’entreprise, elle permet de réinterroger et de déconstruire des catégories mises en avant par d’autres disciplines des sciences sociales par exemple pour mes thématiques de recherche, des termes tels que : stress professionnel, souffrance au travail, risques psychosociaux… Plutôt que d’en rester à ces catégories, qui permettent de qualifier de façon peu précise les effets des pratiques managériales actuelles, j’ai donc essayé dans cet ouvrage, de m’interroger et de décrypter le plus précisément les causes possibles de ce que je qualifie de mal-être au travail en donnant des exemples les plus précis possibles. Ma grille de lecture peut aider également les salariés à décrypter les relations de travail en entreprise.

Voir le 4ème de couverture: FEYNIE 12

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