Photo de Louise Chauvier
Charles-Henri Lavielle, des éditions Anacharsis, a réuni trois de ses auteurs lors de l’escale du livre à Bordeaux pour présenter la nouvelle collection : « Les ethnographiques » qui publiera des textes éloignés de l’anthropologie positiviste (celle du regard distancié).
Alban Bensa, directeur de la collection en a évoqué les deux premiers livres : « Le vol et la morale » de Myriam Congoste et « Une chasse au pouvoir » de Marie Desmartis. Il a souligné au passage la vitalité de « l’école bordelaise », organisée autour de Bernard Traimond qui remet particulièrement en question un des piliers de la discipline : la « distance ethnographique ». Myriam Congoste et Marie Desmartis ont ainsi montré en quoi l’enquête les a transformées et en quoi elles ont transformé leur terrain.
Il a ensuite distingué « Les ethnographiques » de la collection « Terre humaine » qui a connu de grands succès éditoriaux (Tristes tropiques, Cheval d’orgueil…). Cette dernière représente une époque (jusqu’aux années 1990), il y avait une construction de l’altérité, dans une perspective d’objets muséographiques qui préfigurait la mise en scène des objets au quai de Branly.
La nouvelle collection des éditions Anacharsis entend par contre mettre à un même niveau enquêteur et enquêté et se centrer sur leurs interactions.
En l’absence de l’auteure, actuellement à New-York, il a tout d’abord parlé de l’enquête réalisée dans le sud Gironde par Marie Desmartis. Comment se construisent les rapports de pouvoir au quotidien ? L’anthropologue s’est employée à décrire et à essayer de trouver l’origine des conflits qui ont émergé dans la commune. Elle l’a découverte dans de vieux clivages (depuis la Révolution française et la vente des communaux) qui se rejouent dans les relations contemporaines.
Elle révèle un climat caractéristique de la vie politique actuelle à grande ou à petite échelle.
Alban Bensa a ensuite évoqué le livre de Myriam Congoste en insistant sur son sujet totalement original, improbable. En effet, il n’existe aucun autre livre sur un voleur en action. Il souligne la perpétuelle discussion sur la transgression qui le traverse et le courage ethnographique mis en scène par l’auteure, dans une écriture très personnelle. Qu’est-ce que la relation ethnographique ? Ce livre pose des questions à l’anthropologie de la délinquance et à l’anthropologie en général. Il restitue la façon dont les gens construisent eux-mêmes leur image dans la relation ethnographique.
Myriam Congoste exprime en premier lieu l’histoire de son enquête et sa volonté d’avoir accès à des propos émis par des personnes libres de parler. Elle ne voulait pas travailler avec un voleur derrière les barreaux qui n’aurait dit que ce qu’il pouvait dire au sein de l’institution.
« C’est une chance d’avoir pu me laisser embarquer ! Quand on met de côté tout ce qui est de l’ordre de l’interdit, on se confronte à ses propres limites. » Elle explique comment elle testait, fonctionnait dans l’instant, quand il y avait des décisions à prendre, elle les prenait et réfléchissait après.
Eric Chauvier a écrit la préface du Vol et la morale. Selon lui, le livre fonctionne sur une raison littéraire, il dépasse l’idée de groupe, comme l’avait fait Crapanzano dans Tuhami et conduit dans les coulisses de l’enquête. Raison littéraire car il amène le lecteur par le récit, Myriam Congoste va dérouler le récit de l’enquête et permettre d’accéder à un savoir culturel. Comment accéder à la culture par des questions et non par des statistiques ? Par exemple : « qu’est-ce que c’est le vol aujourd’hui ? » Elle montre la dimension politique, artistique du vol, ce qui serait difficile avec un groupe. Son approche du savoir est très libre, elle n’impose pas. Elle propose par contre une alternative à une approche stéréotypée du social.
Le texte ce n’est pas seulement un compte-rendu, une description, c’est aussi restituer la relation, savoir qui va passer par le texte.
Alban Bensa explique qu’il s’agit de restituer par la description fine de situations, de rapprocher des attitudes quotidiennes de l’activité professionnelle. Le voleur est pris dans une contradiction au quotidien, sa richesse, il ne peut jamais la montrer.
Alban Bensa révèle que quand on fait du terrain, on change d’avis sans arrêt, ce que l’on n’écrit jamais. Sur ce point, il conviendrait de nuancer…
Une jeune femme dans le public demande à Myriam Congoste ce que peuvent en tirer ceux qui travaillent auprès de délinquants. Elle répond que, si comme elle, ils constatent que leurs préjugés tombent les uns après les autres tant ils sont éloignés de la réalité, ils auront avancé.
Bernard Traimond remarque que ni Myriam Congoste, ni Marie Desmartis n’évoquent leurs choix quant à leur écriture. On lui renvoie qu’elles répondent en écrivant. La question aurait pourtant mérité d’être approfondie.
Colette Milhé